Une étude carbone RE2025 de cas inédite pour comprendre comment piloter un projet dès la phase APS/APD.
Dans cette étude de cas RE2025, nous montrons concrètement comment piloter la conception bas carbone d’un projet d’envergure, en toute autonomie, grâce à la plateforme Time To Beem.
L’objectif : atteindre le seuil RE2025 tout en préservant la morphologie et l’identité architecturale du projet.
Après avoir analysé l’impact carbone initial dans la Partie 1 (voir l’article ici), nous passons à l’action :
👉 Comment faire évoluer un bâtiment à forte intensité carbone pour franchir le seuil RE2025 ?
Un projet emblématique : la Trump Tower version RE2025
Pour cette étude, nous avions imaginé la Trump Tower à Clermont-Ferrand, en la considérant sous l’angle RE2020. L’analyse carbone a été réalisée avec Beem Shot, notre plateforme d’estimation carbone pour les agences d’architecture, permettant de mesurer et de réduire l’impact carbone des projets RE2020.
Fiche technique du projet
- Adresse : 721 Fifth Avenue, Midtown Manhattan, New York.
(Mais pour l’analyse carbone, elle sera située à Clermont Ferrand.) - Hauteur : 202 mètres
- Programme : Résidences, bureaux, commerces
- Architecte : Der Scutt de Swanke Hayden Connell Architects,
- Promoteur : Donald Trump
- Nombre d’étages : 58 étages
- Nombre de niveaux logements : 39 étages
- Date de livraison : 1983
- Style : Postmodernisme commercial
Comprendre la notion d’usages RE2025
La RE2020 ne s’applique pas de la même façon à tous les types de bâtiments.
Elle définit des usages, chacun disposant de règles de calcul et de seuils carbone spécifiques.:
- maison individuelle
- logement collectif
- bureaux
- enseignement
- commerce
Un même projet peut donc être multi-usage : par exemple, un immeuble peut combiner des logements, des bureaux et des commerces. Dans ce cas, chaque usage du bâtiment doit être analysé séparément selon son usage RE2020 correspondant.
C’est précisément la configuration de la Trump Tower, qui réunit plusieurs fonctions :
- des espaces de logements,
- des plateaux de bureaux,
- et des zones commerciales.
Usage RE2020
Pour cette étude, nous avons choisi de nous concentrer exclusivement sur la partie logement, afin d’évaluer son impact carbone selon l’usage RE2020 “logement collectif”.
Comprendre la notion d’indicateur IC Construction
Pour évaluer l’impact carbone matériaux de construction d’un bâtiment, la RE2020 utilise un indicateur appelé Ic Construction.
Il s’agit d’une valeur exprimée en kilogrammes de CO₂ par mètre carré (kgCO₂e/m²).
Ic Construction (kgCO₂eq/m²) = émissions totales du bâtiment (kgCO₂eq) ÷ surface de référence (m² Sref)
Concrètement, cet indicateur additionne :
- les émissions liées à la fabrication des matériaux (béton, acier, bois, isolants, revêtements…),
- celles générées par leur mise en œuvre sur le chantier,
- et leur fin de vie (démolition, transport, recyclage).
Chaque matériau ou produit utilisé possède une fiche environnementale (FDES), qui indique son impact carbone.
En fonction des quantités de matériaux intégrées dans le modèle, on calcule alors le total des émissions du projet.
Le résultat est ensuite divisé par la surface du bâtiment (Sref) pour obtenir une valeur comparable d’un projet à l’autre.
💡 Dans notre plateforme, la surface de référence du bâtiment n’influe pas sur la complexité de l’analyse : qu’il s’agisse d’un d’un immeuble de logements collectif classique, d’une résidence étudiante ou d’un IGH, la logique de pilotage carbone reste identique.
C’est cette valeur qui est comparée aux seuils réglementaires de la RE2020, différents selon :
- l’usage du bâtiment (logement, bureau, enseignement, etc.),
- et l’année d’application (2022, 2025, 2028, 2031).
Comprendre la notion de seuils RE2025
Les seuils carbone RE2020 définissent les niveaux maximums d’émissions autorisées pour la construction d’un bâtiment, en fonction de son usage et de l’année de dépôt du permis de construire.
Ils s’expriment en kgCO₂e/m² (kilogrammes de CO₂ équivalent par mètre carré de surface de référence) et traduisent la quantité totale de carbone émise lors de la construction du bâtiment, depuis la fabrication des matériaux jusqu’à leur mise en œuvre sur le chantier.
La réglementation prévoit un abaissement progressif de ces seuils entre 2022 et 2031, afin d’encourager l’usage de matériaux plus sobres et le recours à des systèmes constructifs bas carbone.
Plus on avance dans le temps, plus les projets doivent être conçus avec une empreinte matière réduite pour rester conformes à la RE2020.
Seuils RE2020
Si la Trump Tower était construite aujourd’hui en France, voici les seuils carbone RE2020 auxquels elle serait soumise selon l’année de dépôt du permis de construire :
Seuil 2022 : 825.6 kgCO₂/m²
Seuil 2025 : 588.6 kgCO₂/m²
Seuil 2028 : 369.6 kgCO₂/m²
Seuil 2031 : 288.2 kgCO₂/m²
I – Trois postes critiques à optimiser pour passer sous le seuil RE2025
À la fin du premier volet de notre série sur la Trump Tower, nous avions réalisé une première évaluation carbone complète du projet, ce qui nous a permis de mesurer l’impact de tous les lots définis par la réglementation (structure, façade, second œuvre, équipements techniques, etc.).
Le résultat global s’élevait à 1 076 kgCO₂e/m², soit près du double du seuil RE2025 applicable pour un bâtiment de logement collectif de cette typologie.
Pour aborder la réduction de l’impact carbone d’un bâtiment, identifions les lots les plus émissifs. Dans le cas de la Trump Tower, cette analyse a mis en évidence trois postes majeurs responsables de la majorité des émissions du projet :
- les façades,
- la structure,
- et les revêtements intérieurs.
Ces trois lots concentrent à eux seuls plus de 60 % du poids carbone total du bâtiment.
Ils constituent donc les leviers prioritaires pour faire passer le projet sous le seuil réglementaire de 588,6 kgCO₂e/m² fixé pour 2025.
La suite de cette étude détaille les optimisations mises en œuvre sur chacun de ces lots, à partir des données réelles issues du modèle, et montre comment Beem Shot permet de piloter simplement cette trajectoire bas carbone, sans modifier la morphologie du bâtiment.
1. Optimisation du lot Façades et menuiseries extérieures
La façade d’origine, composée d’un mur rideau en verre teinté bronze sur ossature acier, génère un impact carbone particulièrement élevé. Cette configuration, typique des tours des années 1980, combine deux matériaux fortement transformés et énergivores dans leur fabrication.
Solution retenue : L’optimisation a consisté à remplacer le vitrage teinté par un verre clair à faible impact environnemental, référencé dans la base INIES, tout en conservant les exigences de transparence et de performance lumineuse.
Réduction carbone
de 134 à 79 kgCO₂e/m², soit un gain de 55 points sur l’impact carbone total du projet.
2. Optimisation du lot Superstructure
Dans le cas de la Trump Tower, la structure repose sur un noyau central en béton armé et des murs de refend massifs, assurant la rigidité de la superstructure. Ces éléments représentent une quantité importante de matière et donc un poids carbone élevé. Pour ce type d’ouvrage, il n’était pas envisageable de modifier le système porteur, ni de réduire les sections ou les épaisseurs, au risque d’altérer les propriétés mécaniques du bâtiment.
Solution retenue :
Nous avons remplacé le béton CEM I traditionnel par un béton bas carbone, référencé dans la base INIES. Ce matériau, formulé avec des liants alternatifs (laitiers, cendres volantes, fillers calcaires), réduit de manière significative les émissions liées à la production du ciment, principal facteur d’impact du béton.
Réduction carbone
de 207 à 118 kgCO₂e/m², soit un gain de 88 points sur l’impact carbone total du projet.
3. Optimisation du lot Revêtements intérieurs
Le lot Revêtements intérieurs regroupe l’ensemble des matériaux visibles en finition : sols, murs, plafonds et éléments décoratifs.
C’est un poste souvent perçu comme secondaire, mais il s’est révélé être le plus émissif sur le projet de la Trump Tower.
Dans sa configuration d’origine, la tour présentait un niveau de finition exceptionnellement élevé : marbre massif, moulures dorées, surfaces miroitantes… Autant d’éléments à forte intensité matière et à fort impact carbone, dus à la transformation, au transport et à la rareté des matériaux employés.
L’enjeu consiste à préserver l’image et le standing du projet tout en adoptant des matériaux plus sobres, capables d’offrir la même qualité perçue et la même richesse architecturale, avec un impact carbone nettement réduit.
Solution retenue :
L’optimisation a porté sur trois actions complémentaires :
- Remplacement du marbre massif par un carrelage céramique imitation marbre, offrant un rendu visuel similaire pour un impact matière bien inférieur ;
- Simplification des finitions décoratives, en réduisant les doublures et moulures superflues tout en maintenant la richesse visuelle de l’espace ;
- Application de peintures à faible impact environnemental, privilégiant des formulations biosourcées ou recyclées pour limiter les émissions de fabrication.
Réduction carbone
un gain de 98 points sur l’impact carbone total du projet.
Ces choix ont permis de réduire significativement les émissions de ce lot, sans altérer le caractère haut de gamme du projet. La tour conserve son identité, mais dans une logique de luxe sobre et responsable, adaptée aux exigences de la RE2020.
II – Les trois optimisations combinées : une amélioration significative mais encore insuffisante
Après la mise en œuvre de ces trois optimisations majeures, la Trump Tower atteint un score intermédiaire d’environ 715 kgCO₂e/m².
Malgré une réduction de plus de 30 %, le projet reste au-dessus du seuil réglementaire RE2025. Cette étape met en évidence une réalité commune à de nombreux projets : un bâtiment conçu sans contrainte carbone ne peut être rendu conforme uniquement par des ajustements de matériaux.
Pour les trois lots les plus émissifs identifiés, façades, structure et revêtements intérieurs, la stratégie a donc d’abord consisté à remplacer les fiches environnementales (FDES) des matériaux existants. La matérialité n’a pas changé, mais la performance environnementale des produits a été optimisée grâce à une sélection plus fine des références disponibles sur le marché.
💡 Optimiser un projet à posteriori ne suffira jamais à le rendre conforme. Il faut concevoir bas carbone dès l’amont du projet.
III – Changer les matériaux des autres postes du lot revêtements intérieurs
Une fois les grands postes optimisés, restait un angle mort : celui des revêtements intérieurs.
Dans un projet comme la Trump Tower, ils ne sont pas anecdotiques, ils sont omniprésents. Murs doublés de marbre, plafonds tapissés de miroirs, colonnes dorées… l’ornement est un manifeste. Mais face aux exigences de la RE2020, cette esthétique flamboyante devient un frein.
Pour franchir le seuil carbone RE2025, il a donc été nécessaire d’aller au-delà de la simple optimisation des fiches produits : nous avons dû challenger et modifier les matérialités elles-mêmes, afin d’explorer des solutions plus sobres, tout en préservant l’image et la qualité architecturale du projet.
L’étude a ainsi porté sur plusieurs hypothèses de remplacement. Voici les résultats obtenus.
3.1 – Réduire les doublures, sans tout supprimer
Première tentative : conserver une partie des doublures murales, tout en allégeant les revêtements. Une manière de préserver une certaine richesse visuelle tout en réduisant les matériaux. Résultat : une baisse suffisante pour atteindre le seuil RE2020 de 2022… mais pas celui de 2025. Une optimisation encourageante mais insuffisante dans le contexte actuel.
Réduction carbone
un gain de 78 points sur l’impact carbone total du projet.
3.2 – Opter pour une peinture biosourcée
Deuxième scénario, plus radical : supprimer les doublures et opter pour une finition murale en peinture biosourcée. Moins d’épaisseur, moins de matière, et une formulation issue de matières renouvelables. Le geste est simple, mais efficace : 21 points gagnés sur le score carbone. Ce choix nous rapproche sérieusement de l’objectif. Mais pas encore assez.
Réduction carbone
un gain de 21 points sur l’impact carbone total du projet.
3.3 – Explorer la peinture recyclée
Moins connue, la peinture recyclée est produite à partir de restes de chantiers. Son cycle de vie, raccourci, lui donne un bilan carbone inférieur à celui des peintures classiques ou même biosourcées. Le principe est simple : collecte, mélange, reconditionnement. Pas d’ingrédient miracle, mais une logique de réemploi qui fait la différence. Un levier encore peu exploité, mais prometteur pour les projets engagés.
Réduction carbone
un gain de 1 point sur l’impact carbone total du projet.
3.4 – Sélectionner des carreaux imitation marbre plus petits
Dans le cas des carreaux imitation marbre, un ajustement apparemment mineur, le choix d’un format plus petit chez le même fournisseur, a permis de réduire l’impact carbone unitaire du produit.
Réduction carbone
un gain de 3 points sur l’impact carbone total du projet.
3.5 – Supprimer les miroirs aux plafonds
Dernière concession esthétique : les miroirs de plafond. Véritable signature kitsch du luxe années 1980, ils sont aussi des éléments très transformés, souvent importés, et donc émetteurs. En les supprimant totalement, on obtient un gain de 10 points sur le score carbone. Une suppression discrète, mais qui pèse dans le calcul final.
Réduction carbone
un gain de 6 points sur l’impact carbone total du projet.
IV – Optimiser les items moins impactants
Après les optimisations majeures menées sur les façades, la structure et les revêtements, le projet avait déjà gagné plus de 340 points carbone, avec un écart résiduel de 31,4 kgCO₂e/m².
À ce stade, les marges de manœuvre sur les lots principaux étaient presque inexistantes :
- Le lot CVC (chauffage, ventilation, climatisation) restait en valeur forfaitaire, faute d’informations techniques précises sur les systèmes installés.
- Le lot Structure ne pouvait plus être optimisé sans repenser entièrement le système porteur, ce qui aurait modifié la morphologie du bâtiment.
- Le lot Façade avait déjà été réduit au maximum sans altérer l’identité architecturale.
- Et le lot Revêtements avait atteint un équilibre entre sobriété et qualité perçue.
👉 Il ne restait donc qu’une voie possible : aller chercher les derniers gains carbone sur des postes souvent considérés comme “secondaires”… mais dont le volume cumulé pèse lourd dans le bilan global.
4.1. Optimiser les cloisons intérieures
Les cloisons intérieures sont présentes en très grande quantité. Ici, nous les avons remplacées par une fiche FDES plus performante, issue de la base INIES.
Réduction carbone
un gain de 15 points sur l’impact carbone total du projet.
4.2. Optimiser les portes intérieures
Même logique pour les portes intérieures : leur grand nombre dans un programme résidentiel de grande hauteur crée un effet cumulatif significatif.
Solution retenue : remplacer la fiche générique par une fiche spécifique à faible impact carbone.
Réduction carbone
un gain de 8 points sur l’impact carbone total du projet.
4.3. Optimiser les sanitaires
Les équipements sanitaires (lavabos, WC, baignoires…) sont très consommateurs de matière. En adoptant des équipements plus sobres, le gain est notable.
Réduction carbone
un gain de 14 points sur l’impact carbone total du projet.
🎯 Score final : 587 kgCO₂e/m²
💥 Seuil RE2020 – 2025 atteint !
Conclusion
En revisitant un projet aussi emblématique que la Trump Tower sous l’angle de la RE2020, on mesure à quel point la conception bas carbone impose de repenser la matière avant la forme. Malgré des optimisations substantielles sur les façades, la structure et les revêtements, atteindre le seuil 2025 reste un défi.
Cette expérimentation démontre une réalité simple : on ne rattrape pas une conception à fort impact carbone avec quelques ajustements. Pour atteindre les seuils 2025, il faut intégrer la logique carbone dès la phase amont, quand la morphologie, les matériaux et les systèmes constructifs sont encore malléables.
Grâce à Beem Shot, cette démarche devient tangible : on visualise l’impact de chaque choix, on mesure les gains réels, et on ancre la performance carbone dans la création architecturale elle-même, sans renoncer à son ambition architecturale.
🧭 En résumé :
On n’a pas raccourci la tour.
On n’a pas supprimé son mur rideau.
On a gardé son caractère haut de gamme.
Mais on a éliminé l’inutile, optimisé l’invisible, et arbitré sur ce qui compte.
C’est ça, le luxe sobre.